
Ce que Warren Buffett nous a appris
Auteur : Nicolas Bérubé – La Presse
Vous avez sans doute vu passer la nouvelle la semaine dernière : Warren Buffett prend sa retraite.
Enfin, si on peut appeler ça une retraite : l’investisseur de 94 ans a dit qu’il laissera son poste de PDG du conglomérat Berkshire Hathaway à la fin de l’année, après 60 ans passés à diriger l’entreprise. Buffett demeurera président du conseil d’administration.
C’est difficile de résumer la carrière de Warren Buffett en quelques phrases. Laissons parler les chiffres : un dollar investi dans l’action de l’entreprise en 1965 en vaut plus de 55 000 $ aujourd’hui, pour un rendement total de 5 502 284 %.
Oui, ça a été plus payant qu’un triplex dans le Mile End.
Le chemin n’a pas toujours été facile. Berkshire Hathaway a perdu 50 % de sa valeur trois fois : une fois dans le krach pétrolier de 1973, une autre dans l’écrasement des entreprises point-com au début des années 2000, et une enfin dans la crise financière de 2008.
Même avec le meilleur investisseur de l’histoire aux commandes, les chutes sévères sont inévitables. Aujourd’hui, Berkshire Hathaway est la septième entreprise en importance négociée en Bourse aux États-Unis, devant Alphabet et Walmart.
Warren Buffett est bien plus qu’un homme avec un talent prodigieux pour placer de l’argent : c’est une machine à transmettre son savoir et ses leçons. Des millions d’investisseurs se comportent mieux et ont de meilleurs rendements grâce à ses enseignements.
J’en fais partie. À mes débuts, j’investissais comme un pied. Voir Warren Buffett rester rationnel et optimiste face aux effondrements du marché m’a intrigué. Ça m’a poussé à lire les biographies écrites sur lui, et ses lettres annuelles. Avec le recul, je peux dire que ça a changé ma vie.
Voici six citations mémorables de Warren Buffett, avec leur contexte.
« La Bourse permet de transférer l’argent de l’impatient au patient. »
On le voit encore cette année : réagir, parce qu’on a peur, prendre des décisions en fonction de notre instinct ou de l’actualité sont d’excellentes façons de heurter un mur avec nos placements. Essayer de prédire le marché, c’est comme essayer de saisir le savon le plus glissant du monde après l’avoir laissé tomber par terre. Nos efforts réussissent surtout à nous couvrir de ridicule.
Warren Buffett est l’incarnation même de la patience. Il a acheté sa première action à l’âge de 11 ans, le 11 mars 1942, en plein pendant la Seconde Guerre mondiale. S’il s’était arrêté aux grands titres des journaux, Buffett n’aurait sans doute jamais placé un sou.
« La meilleure chose à faire le 11 mars 1942, lorsque j’ai acheté ma première action, était d’acheter un fonds indiciel, et de ne plus jamais regarder un titre, de ne plus jamais penser aux actions », a plus tard dit Buffett. Une leçon qui s’applique à ce jour.
« C’est quand la marée se retire qu’on découvre qui nageait nu. »
Warren Buffett a écrit cette phrase aujourd’hui célèbre dans sa lettre aux actionnaires de 2001, durant l’éclatement de la bulle des entreprises point-com. Cette année-là était une sorte de triomphe pour lui : à la fin des années 1990, alors que les entreprises de technologie atteignaient la stratosphère en Bourse, la perception était que Warren Buffett avait raté une marche de l’escalier, puisque ses rendements décevaient. La faillite de plusieurs entreprises à la mode a validé, une fois de plus, son engagement envers l’investissement à long terme.
« Quand les gens mâchent de la gomme, on a une assez bonne idée de la façon dont ils la mâchaient il y a vingt ans, et de la façon dont ils la mâcheront dans vingt ans. On ne voit pas vraiment beaucoup de technologie entrer dans l’art de mâcher. »
Buffett aime se moquer (gentiment) des investisseurs qui courent après les modes, les inventions, les secteurs prometteurs dont tout le monde parle.
Beaucoup de ces occasions d’investissement sont des feux de paille. De toute façon, les actionnaires ne sont pas toujours ceux qui profitent des avancées technologiques : la compétition dans les secteurs clés fait souvent en sorte que les bénéfices restent minces.
Pendant ce temps, des secteurs qui ne sont pas « sexy », comme la gomme et les barres de chocolat, continuent d’augmenter leurs profits années après année. Ça contribue à l’aspect souvent contre-intuitif de l’investissement.
« La règle numéro un : ne perdez pas d’argent. La règle numéro deux : n’oubliez pas la règle numéro un. »
L’une des fascinations de Warren Buffett est de voir les risques auxquels les gens riches autour de lui s’exposent afin de s’enrichir davantage.
Au départ, Warren Buffett et son partenaire d’affaires Charlie Munger investissaient avec une troisième personne nommée Rick Guerin. M. Guerin s’était lourdement endetté afin d’investir davantage, et a finalement dû vendre ses actions lors d’un effondrement des marchés dans les années 1970 pour rembourser ses dettes.
« Charlie et moi avons toujours su que nous deviendrions très riches, a plus tard dit Buffett. Nous n’étions pas pressés. Rick était aussi intelligent que nous. [La différence], c’est qu’il était pressé. »
« Les intérêts composés se comportent comme une boule de neige sur de la neige collante. L’astuce consiste à avoir une très longue pente, ce qui signifie commencer très jeune ou vivre très vieux. »
Buffett a suivi son propre conseil : il a commencé très jeune, et mène une longue vie. Sa fortune – qui ira à des œuvres de charité à sa mort – est évaluée à 162 milliards de dollars. Or, il avait 56 ans lorsqu’il a franchi la barre du premier milliard. Comment est-ce possible ? C’est la façon dont fonctionnent les intérêts composés, un concept que le cerveau humain est mal équipé pour apprécier, comme j’en parlais dans ce texte 1.
« Je dirais que, dans l’ensemble, nous voulons que le monde entier prospère. Nous ne voulons pas que les États-Unis soient un pays d’une prospérité extraordinaire pendant que le reste du monde meurt de faim. Ça ne va pas marcher. »
Buffett a dit ça en 2023, il y a deux ans. À voir l’actualité, ça pourrait aussi bien être il y a deux siècles.
Bonne retraite, Monsieur Buffett.
Source: La Presse